Taxes ou permis de polluer?Par Pierre Veya vendredi 4 septembre 2009 Faut-il taxer les gaz à effet de serre ou accorder des droits d’émission? Quels sont les avantages et écueils de ces instruments? |
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Faut-il taxer les gaz à effet de serre ou accorder des droits d’émission? Quels sont les avantages et écueils de ces instruments? Pour stabiliser le réchauffement climatique à 2° C, les pays industrialisés devront diviser par quatre leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Un effort colossal et il n’est pas certain qu’il soit suffisant au regard des dernières informations scientifiques. La contribution demandée aux pays en voie de développement est tout aussi importante: leurs émissions devraient être réduites de moitié après une phase de croissance rapide. Quels sont les instruments pour y parvenir? Faut-il agir par les normes (interdictions, limitations, etc.) ou introduire des mécanismes économiques incitatifs, comme la taxe sur le C02 ou les «permis et droits de polluer» qui fixent des quotas qui peuvent être échangés (système de Cap and Trade en anglais)? Petit tour de la boîte à idées des économistes. Les normes. Tous les Etats réalisent que les normes et autres prescriptions obligatoires sur l’efficacité énergétique ne suffiront pas à elles seules à infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre. De plus, même si elles sont efficaces, les normes ont des effets pervers. Elles ont tendance à figer le progrès technique en établissant des standards reconnus qui disqualifient des procédés plus innovants mais non agréés. Elles sont en outre rarement universelles et peuvent constituer des obstacles au commerce. Les instruments incitatifs ou de «marché». Il en existe principalement deux types. Les permis ou «droits de polluer» et les taxes. Les premiers fixent un niveau d’émission à atteindre pour un pays ou un secteur industriel bien défini. Les quotas alloués sont révisés à des périodes régulières et abaissé progressivement. C’est le système du «Cap and Trade» en vigueur en Europe depuis 2005 et que les Etats-Unis discutent en ce moment au Congrès. L’avantage du système «Cap and Trade»: les entreprises ou secteurs qui n’utilisent pas l’entier des quotas qui leur sont alloués peuvent les revendre à quelqu’un qui ne parvient pas à respecter ses engagements et qui juge préférable d’acheter un droit plutôt que de payer une amende. Les échanges se font par le biais de bourses spécialisées; les quotas peuvent s’échanger entre pays. Ainsi, la Russie et l’Ukraine vendent régulièrement des droits de polluer à des groupes industriels européens. Le «Cap and Trade» a un mérite: l’abaissement des émissions est prévisible et le prix du CO2 varie en fonction de la demande et du progrès technique. Et une vertu: ceux qui font des progrès en n’utilisant par leurs quotas sont récompensés par les gains réalisés par la vente de leurs droits; les gros émetteurs évitent un rationnement brutal et obtiennent, par l’achat de quotas, un temps d’adaptation aux meilleures conditions économiques du moment. Le système des droits de polluer s’est montré très efficace dans le processus de désulfuration du charbon aux Etats-Unis et la lutte contre les composés organiques volatils (COV). Le système des permis ou droits de polluer souffre toutefois de graves défauts dans son application. Il est très complexe à administrer, génère d’importants coûts de transaction et l’ONU s’est totalement décrédibilisée dans le contrôle des échanges entre Etats et entreprises. En Europe, le système «Cap and Trade» a donné lieu à des scandales retentissants. Certains grands groupes industriels, au bénéfice de quotas trop généreux, ont encaissé des plus-values financières extraordinaires alors qu’ils étaient censés investir dans la réduction de leurs émissions. Malgré tous ses défauts, la Suisse s’est engagée à rejoindre le marché européen. Les économistes préconisent deux réformes majeures: la vente aux enchères (et non plus gratuite) des quotas et la mise en place d’un système de sanctions réelles pour les Etats ou les entreprises qui ne respectent par leurs engagements. La taxe carbone. Comme il semble difficile d’étendre les permis ou droits de polluer à chaque individu ou type de consommateur, les économistes préconisent de donner un prix au CO2 afin d’en dissuader l’émission. C’est le principe de la taxe carbone. Dans son essence, ce n’est pas un impôt car son produit est intégralement reversé aux consommateurs finaux. En Suisse, le remboursement de la taxe CO2 se fait via les cotisations à l’assurance maladie. Simple, la taxe carbone est incitative: tout consommateur ou acteur économique tentera d’y échapper. Si le prix du CO2 est déterminé et fixe, son effet réel sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre est lui incertain. C’est la raison pour laquelle, les Etats prévoient généralement un relèvement des taxes par paliers afin de s’assurer d’une réduction effective des émissions. Si la taxe CO2 est clairement l’instrument recommandé par une majorité des économistes, elle se heurte paradoxalement à une très forte opposition politique. Elle est perçue comme un nouvel impôt et son coût se reflète immédiatement dans les prix aux consommateurs alors que les coûts d’un système de permis ou droits de polluer sont tout aussi réels mais cachés dans la formation des prix. La taxe CO2 est certes neutre au plan macroéconomique lorsqu’elle est entièrement redistribuée mais elle peut aggraver les inégalités sociales si son remboursement n’est pas modulé. Ainsi, en Suisse, la ristourne aux ménages tient compte du nombre de personnes par famille; en France, le gouvernement envisage un remboursement en fonction du revenu imposable et de la situation géographique. Généralement, les gouvernements accompagnent l’introduction de la taxe CO2 par une baisse de la fiscalité sur le travail (Allemagne, pays nordiques). En pratique, les permis et les taxes sont introduits en parallèle, comme c’est le cas en Suisse (les entreprises soumises au régime des droits de polluer sont alors exemptées de la taxe C02). Pour les pays en développement qui sont encore en phase d’industrialisation, les économistes consultés par l’ONU dans une récente étude* préconisent d’agir principalement par le biais des investissements et des transferts de technologies. Ceux-ci pourraient être alimentés par les fonds prélevés par les Etats dans la vente de quotas des droits de polluer. La Chine, par exemple, exige une aide annuelle directe des pays développés équivalant à 0,5 ou 1% de leur produit intérieur brut (300 milliards de dollars pour le G8), soit grosso modo autant que l’effort que les pays industrialisés envisage de faire pour eux-mêmes… |